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Le blog de Anne-Laure L.

Le blog de Anne-Laure L.

Ce blog est un récapitulatif non exhaustif de mes articles en tant que journaliste sur des sujets aussi variés que la musique, la société, l'actu... Bonne lecture!


Jean Genet, en toute ambiguïté

Publié par Anne-Laure L. sur 19 Décembre 2010, 16:38pm

Catégories : #littérature

 Tout au long de 2010, un florilège d’événements – colloques, lectures, parutions... – a célébré le centenaire de naissance de Jean Genet, né le 19 décembre 1910. L’éternel rebelle, positionné toute sa vie contre la société française, aurait-il apprécié ces festivités ? A la suite d’Albert Dichy, biographe de Jean Genet, des spécialistes de son œuvre interrogent les honneurs, qui fleurissent ou trahissent son héritage.

 

 

 


Sur la scène de l’Odéon, la voix rocailleuse et gorgée d’expériences de Jeanne Moreau prête chair aux mots de Jean Genet. Aux côtés de l’immense actrice, le héros pop Etienne Daho chante Le Condamné à Mort, au flux et reflux des guitares. Dans l’émotion palpable, le duo transcende l’ascension vers l’échafaud : une ode sensuelle à la vie. Au fronton du théâtre, le portrait de Genet veille, lumineux, sur le froid parisien. Cette semaine-là, du 23 au 27 novembre, l’Odéon célébrait le centenaire de naissance de l’écrivain sulfureux, mort en 1986. Ce phare ne saurait pour autant masquer la kyrielle d’événements qui ont honoré, tout au long de l’année, l’anniversaire du rebelle : colloques, lectures, parutions, « Une » du Magazine Littéraire, portrait sur Arte... Autant de distinctions, avalisées par le Ministère de la Culture, que n’auraient sûrement pas goûté cet « ennemi déclaré », voleur, malfrat, pensionnaire des prisons, traître autoproclamé et haïsseur invétéré de la société française. En échos au malaise d’Olivier Py, directeur de l’Odéon, lors du coup d’envoi, ou encore à l’indiscipline du circassien Alexandre Romanès, qui fustigeait, parmi les Universitaires, ce « politiquement correct », l’écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun, ami du poète, s’adresse à Genet : « Heureusement que tu n’es pas là pour gâcher la fête ! »


Y’aurait-il alors un paradoxe à célébrer l’écrivain ? A l’enfermer dans les murs d’une institution, de laquelle il n’a cessé de s’évader pour rejoindre sa solitude ? Ainsi, comme le note l’universitaire Michel Corvin, spécialiste du théâtre du xxe siècle : « Dans le petit monde littéraire, si vous n’êtes pas exclu par principe, il y a toujours des gens qui, pour vous intégrer dans le système, vous feront le plus grand tort ». Une remarque qu’il nuance par la réflexion selon laquelle, aujourd’hui, on célèbre moins l’homme que ses écrits, soumis à la question et au recul critique. Albert Dichy, biographe de l’écrivain, le rejoint ainsi : « S’il y a une dimension mercantile à ces commémorations, je suis toutefois heureux qu’elles servent à mieux connaître une œuvre complexe, qui inspire beaucoup de détestation, au-delà des poncifs ! » Et tous deux de noter que Genet fut d’ailleurs bien moins révolté dans ses actes que dans son écriture, acte de foi, et sa syntaxe. A juste titre, Corvin et Dichy rappellent qu’il avait, en son temps, accepté le Grand Prix National des Lettres, et que la seule publication de ses œuvres incluait déjà une acception des règles du jeu de la société bourgeoise. Genet, ou l’éthique de l’imposture ? C’est bien de cela dont il s’agit. Car il jongle avec nos frontières étriquées. Comme l’indique Véronique Lane, professeur à l’Université américaine de Wesleyan, et auteur d’une thèse en cours sur Genet : « Il jouait avec les normes, mais de l’intérieur. C’était plus un auteur de la subversion que de la destruction. Dans les failles de l’édifice, il insinuait sa révolte. » Alors, célébrer Genet serait-il trahir sa mémoire ? Beau projet, pour celui qui a toujours institué la Trahison comme valeur suprême. Genet, ou l’impossible ambiguïté ? Comme le rappelle le sociologue et philosophe Didier Eribon : « Il a dit tant de choses multiples et contradictoires, qu’il ne faudrait surtout pas l’enfermer dans ses propres mythologies, y compris celle du rebelle ».


Anne-Laure Lemancel

 

Et aussi : Colloque International du Centenaire de Jean Genet les 16&17 décembre à l’Université Paris IV et à l’ENS, rue d’Ulm.

 

Publié pour Evene le 19 décembre 2010

 

 

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