Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le blog de Anne-Laure L.

Le blog de Anne-Laure L.

Ce blog est un récapitulatif non exhaustif de mes articles en tant que journaliste sur des sujets aussi variés que la musique, la société, l'actu... Bonne lecture!


Littérature des Antilles francophones : les trésors créoles.

Publié par Anne-Laure L. sur 10 Août 2012, 18:27pm

Catégories : #littérature

Sous d’autres latitudes, autour de la mer des Caraïbes, la langue française résonne autrement. En témoignent les grandes œuvres de la littérature d’Haïti, de la Guadeloupe et de la Martinique. Petit voyage à travers leurs pages…

 

http://www.apnel.fr/forum/img/200912caraibes/caraibes20.jpg

« La langue française a la chance énorme d’avoir des territoires où on la réinvente, où on la nourrit, où on la dépasse… », confiait à L’Express l’écrivain Erik Orsenna, au sujet de la littérature haïtienne. Et l’académicien d’égrener le chapelet de ses chantres : Dany Laferrière, Alain Mabanckou, Frankétienne… Voix de L’Or Noir (2012), un disque où les mots d’Aimé Césaire (Martinique), René Depestre (Haïti), Edouard Glissant (Martinique) ou James Noël (Haïti), épousent la musique de Nicolas Repac, le chanteur Arthur H parle même d’une « transmutation du français », lorsqu’il évoque cette poésie créole « alchimique » qui, à l’instar de la musique black-américaine au XXe siècle, a su « fertiliser l’âme noire dans le monde blanc ». Si la très riche littérature haïtienne, née avec l’indépendance de l’île en 1804, d’abord abreuvée aux courants français - classicisme, romantisme, Parnasse… -, puis émancipée avec l’essor de revues telles La Nouvelle Ronde ou La Revue Indigène au XXe siècles, se distingue de celle de Guadeloupe et Martinique, toutes deux reflètent cependant la situation de carrefour de leurs territoires, à la croisée entre mondes européens, américains et africains. L’affirmation de cette identité, forcément métisse, se tisse à l’aune de l’Histoire, aux réflexions de ses penseurs. Si Atipa, du Guyanais Alfred Papérou, premier roman en langue créole, élevé contre la toute puissance du Français, paraît en 1885, il faudra en effet attendre la verbe flamboyant d’un Aimé Césaire, et sa défense du concept de « négritude » dans son Cahier d’un retour au Pays Natal (1939), pour qu’émerge la possibilité d’une littérature « antillaise ». A cette pensée d’émancipation du joug colonial, succèderont d’autres étapes : Edouard Glissant resserre ainsi l’identité sur l’ « Antillanité » dans les années 1960 ; puis, en 1989, le trio martiniquais Jean Barnabé/Raphaël Confiant/Patrick Chamoiseau explosent les horizons avec L’Eloge de la Créolité, signe d’une appartenance caribéenne toujours en mouvement, toujours mélangée, toujours créole, issue d’infinis rhizomes.

Que doit-on alors retenir d’une littérature « antillaise » actuelle ? Qu’elle se situe dans cet entre-deux, ce mouvement passionnant qui oscille entre oralité et écriture, réel et merveilleux, créole et français… Que ce soit les Guadeloupéens Ernest Pépin, Maryse Condé ou Gisèle Pineau, le Martiniquais Joseph Zobel ou l’Haïtien Lyonel Trouillot… tous font revivre leurs terres au travers de leurs magies, de leurs histoires, de leurs mémoires, utilisant le jargon et les légendes, quand sourd la musicalité, les rites et les rythmes de mots qui dansent, et se transmettent. Olivier Macaux, conférencier littéraire parle d’un « folklore de l’identité, d’une émergence des marges, d’un imaginaire exotique… », quand Marie-Christine Hazaël-Massieux, professeur de Lettres Modernes et d’Etudes Créoles à l’Université, parle d’une « reconstruction de la tradition et du patrimoine » par la littérature. Car c’est bien de cela dont il s’agit. Si plusieurs de ces œuvres créoles, antillaises, d’abord estampillées sous l’étiquette réductrice de « littérature francophone », ont depuis longtemps rejoint le Panthéon de la grande « littérature française » (Prix Goncourt 1992 pour Texaco de Chamoiseau, Prix Médicis 2009 pour L’énigme du Retour de Laferrière…), elles utilisent avant tout la langue de « l’ancien dominant » pour ressusciter, par les mots écrits, les contes (voir la mort du conteur dans l’admirable Solibo Magnifique de Chamoiseau, relevé par la plume de l’écrivain) et les croyances… La renaissance, en bref, d’une mémoire collective, orale, véhiculée contre les hégémonies de tous bords : celle d’une identité qui circule à l’envi, se régénère et jamais ne se fige. 

Anne-Laure Lemancel

 

Patrick Chamoiseau : le bruissement des mondes.

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/f4/Patrick_Chamoiseau(1).jpg

Prix Goncourt pour Texaco en 1992, auteur des sublimes Chroniques des Sept Misères (1986) et Solibo Magnifique (1988), Patrick Chamoiseau mime avec virtuosité l’oralité, fait revivre les contes, les légendes et le pouls de son île, la Martinique. A Lecteurs.com, il parle de la littérature antillaise, et revient sur son concept de créolité. Entretien.

Existe-t-il des caractéristiques propres à la littérature antillaise ?/ En Martinique,  Guadeloupe et Guyane, nous observons des structurations similaires, qui proviennent de la « diglossie » de ces terres : cette coexistence de deux langues aux hiérarchies différentes, cette hésitation entre le Français, langue de la « culture dominante », de l’école, de l’autorité, de la noblesse… et le Créole, langue émotive, celle de la mémoire collective, des contes, des proverbes. Dans cette oscillation permanente, l’écrivain construit son langage. Les Antillais relèvent aussi de cultures composites, nourries d’imaginaires en provenance des continents africains, européens, américains… En même temps, un auteur ne représente que lui-même, et n’appartient pas forcément à une structure communautaire, même si se créée, de fait, une solidarité entre artistes de la même terre. Seules comptent les structures d’inspirations, d’émotions, les expériences individuelles face au grand chant de l’univers, à la totalité de nos mondes… Au-delà de nos héritages et patrimoines communs (l’esclavage, les plantations, la diglossie, les cultures composites…), se développent donc des identités singulières, celles d’un Césaire, celle d’un Glissant, qui créent au final des parentés beaucoup plus larges. Mes frères littéraires n’appartiennent pas forcément à la même région, à la même langue que moi…


La « créolité » que vous avez théorisée en 1989 avec Raphaël Confiant et Jean Barnabé est-elle un concept toujours valable aujourd’hui dans la littérature et au-delà ?/ Bien sûr ! Auparavant, l’écrivain était dominé par un absolu linguistique. Avec la seule langue française, Balzac pensait épuiser la totalité du réel… Joyce disait aussi : « Je suis allé au bout de l’Anglais ». Il n’y a plus, aujourd’hui, d’absolus linguistiques ou territoriaux. Nous sommes traversés par la présence des autres, ces cultures qui interagissent, ces histoires et tous les bruissements du monde. L’arbre relationnel (le « choix » de parents, de frères de cœur…) a remplacé l’arbre généalogique, et la « métaspora » (le « choix » d’une patrie intime) s’est substituée à la « diaspora ». Dans un univers à la fois de plus en plus globalisé et individualisé, le monde explose en chacun de nous.


Votre écriture et votre rapport à cette diglossie (Créole/français) ont-ils évolué depuis vos débuts ? / La problématique de ces deux langues qui nous déchiraient, je l’ai posée, et en partie résolue, dans Solibo Magnifique, mon roman le plus apparemment « créole ». Depuis, mon langage a bien sûr évolué, jusqu’à devenir assez différent dans L’Empreinte à Crusoé. Ma langue reflète un cheminement, une trajectoire, née d’un lieu qui ne m’a pour autant jamais enfermé…


Sous votre plume, la tradition orale, les légendes et les contes ressuscitent, confrontés à ce grand chant du monde…/ Le monde créole, c’est la matrice de notre imaginaire, la base culturelle, orale, intellectuelle, collective, sensible, véhiculée par les contes, les proverbes, les chansons, et toute notre mémoire collective. Qui se coupe de cet héritage, se coupe de la moitié de lui-même. Il y a donc une exploration nécessaire de ce monde-là. Il faut donner la main au conteur et l’aider à revivre, pour que résonnent notre lien et nos secrets - leurs beautés, leurs lumières, leurs ombres, leurs profondeurs - dans cette grande symphonie du monde.


Anne-Laure Lemancel, pour le Site Lecteurs.com 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
Très bien documenté. Article fluide et riche que j'ai pris plaisir à lire.
Répondre

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents