Marie Trintignant au Clair de Lune

Organisée par le Forum des images, la troisième édition de Cinéma au clair de lune propose d'allier découverte de lieux parisiens et projection en plein air. Cinéphiles, voisins, curieux, pique-niqueurs... sont conviés à revisiter ainsi la capitale et l'histoire du cinéma en seize soirées.

Vendredi, au stade Lagny, dans le XIIe arrondissement, la soirée avait toutefois un goût amer d'actualité. Le film de Pierre Salvadori, les Apprentis, comédie où Guillaume Depardieu et François Cluzet incarnent deux antihéros, s'achève sur l'apparition émouvante de Marie Trintignant. L'affluence, environ trois mille personnes dans un espace exigu, laissait présager que nombre de spectateurs s'étaient déplacés pour rendre hommage à l'actrice disparue. Peu avant la projection, l'atmosphère conviviale et détendue n'annonçait guère l'émotion qui allait accompagner le final du film. Car l'image qui restera gravée dans l'esprit de tous est bien la sortie, à gauche de l'écran, de Marie Trintignant, semant des graines aux oiseaux comme autant de raisons d'espérer pour son ami dépressif, interprété par son ex-compagnon et père de son deuxième garçon, François Cluzet.

Le contraste entre l'apparition d'un «ange», image apaisante, et le destin tragique de Marie Trintignant, a suscité une émotion unanime. Sur tous les visages s'est inscrite la consternation ; les langues se sont déliées, tous parlaient de l'actrice et de cette apparition.

Présents à la projection, Pierre Salvadori, Guillaume Depardieu et Philippe Martin, le producteur, n'ont pas, dans leur brève présentation du film, fait allusion à la mort de Marie Trintignant. Ce n'est qu'après, au cours d'un entretien informel, qu'ils ont évoqué leurs souvenirs. Marie Trintignant a joué dans trois films de Salvadori : Cible émouvante, les Apprentis et Comme elle respire... C'est dans Une affaire de femme de Claude Chabrol, en 1988, que le cinéaste l'avait remarquée, «séduit par le caractère étrange et la simplicité» de l'actrice, incarnant «la séduction et le mystère». Une histoire d'amitié s'est tissée entre le réalisateur, son acteur fétiche Guillaume Depardieu, son producteur fidèle Philippe Martin, et Marie Trintignant. Ils se voyaient souvent. C'était une histoire de génération, de manière de considérer la vie avec une note de passion que venaient relancer angoisse, désinvolture et engagement citoyen. Une histoire de quartier aussi : Pierre Salvadori et Philippe Martin habitent à deux pas du stade Lagny, tout comme Marie Trintignant, qui vivait à Belleville, un peu plus haut, dans le XXe arrondissement.

Les plus émus des spectateurs ont, sans aucun doute, été ces trois-là, immensément concernés, infiniment tristes. La vie, à la manière de Lorette (le personnage de Marie Trintignant), apporte sa part de coups durs mais finit par pacifier et guérir les blessures : l'actrice, qui avait réécrit tous les dialogues de son rôle, sera toujours là, dans ce film, pour nous le dire.

Anne-Laure Lemancel, pour Libération, août 2003