«D’où venez-vous ? », questionnent les douaniers à bord du tour-bus immatriculé « Allemagne », mais dont les passagers-musiciens proviennent des quatre coins de l’Europe. « D’où venez-vous ? », s’inquiètent journalistes et programmateurs, engoncés dans leurs étiquettes. « Mais d’où venez-vous ? », insiste en chœur un public, ivre de son cocktail électro-pop-tsigane. A ce leitmotiv, l’incendiaire Shantel, géniteur de l’imparable Disko Partizani, réplique, mort de rire: « De la planète Paprika ! » Un territoire sans visas, sans ces frontières qui laissent aux portes du Royaume-Uni son musicien serbe, patrie dépourvue de toutes ces « conneries » sur lesquelles le DJ allemand ouvre le feu. Car la farce dissimule mal la colère. Comme un taureau d’Arles, où son combo embrasait le 14 juillet la place de l’Hôtel de Ville, Shantel voit rouge dès lors qu’il se sent enfermé. Supposez qu’il fait de la musique roumaine ? Il fulmine. La « véritable » musique de Bucovine ? Il charge. « Bucovine a été dévastée pendant la guerre ! N’y subsiste AUCUNE culture ». Pire : essayez de l’inviter à un festival « électro-balkanique ». Le voici fâché, sans lueur de réconciliation. L’homme n’aime pas les ghettos. Et s’il déteste la politique, il assume en revanche ses convictions : « Je me fous de la nationalité ou de l’identité. Je peux bosser, communiquer avec des Tsiganes, des Juifs, des Français, des Musulmans… La question « d’où tu viens ? » n’a pour moi aucun sens. C’est absurde. Nous vivons au cœur de l’Europe, dans des villes-mosaïques telles Vienne, Berlin, Istanbul, fortes d’un brassage culturel intense. La plus belle réalité de nos territoires reste cette salade mixte, dans laquelle nous cueillons les éléments les plus savoureux, loin de cette uniformisation du monde, et du potentat anglo-saxon. »
Paprika, mythe d’un sans limite.
*en Shantel dans le texte
Planet Paprika Crammed discs/Wagram
Anne-Laure Lemancel (Pour Mondomix sept/octobre 2009)