Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le blog de Anne-Laure L.

Le blog de Anne-Laure L.

Ce blog est un récapitulatif non exhaustif de mes articles en tant que journaliste sur des sujets aussi variés que la musique, la société, l'actu... Bonne lecture!


Toutes les couleurs du Fado

Publié par Anne-Laure L. sur 15 Juin 2012, 16:43pm

Catégories : #musiques des mondes

 Que reste-t-il du fado plus de dix ans après la disparition de Sa Majesté Amália Rodrigues ? Pour perpétuer, ce « blues » de Lisbonne, l’âme de tout un peuple, une nouvelle génération s’est fait jour, aussi respectueuse du patrimoine, qu’avide de nouveaux horizons. Ce soir-là, vendredi 15 juin, à Rio Loco, deux fadistas témoignaient des nouvelles vibrations de ce chant du destin portugais : la grande diva Mariza, et le talentueux jeune maestro, António Zambujo.

 

Le 6 octobre 1999, avec la disparition d’Amália Rodrigues, « âme » chantante du Portugal, « voix » de tout un peuple, le fado, ce « blues » forgé dans les tavernes lisboètes, perdait sa reine incontestée. Plus de dix ans après sa mort, l’esprit de cette figure tutélaire, l’authenticité de sa « saudade », continuent de planer sur ses héritiers : une descendance audacieuse qui perpétue le flambeau. « Le fado n’a pas d’âge. Transmis de génération en génération, il précède ses hérauts et leur survit », confiait dans sa loge, à Rio Loco, la diva Mariza, son ambassadrice actuelle la plus populaire. Sur la joyeuse Prairie des Filtres, en bordure de Garonne, toute la communauté portugaise de Toulouse semble s’être donnée rendez-vous, ce vendredi 15 juin, se délectant, les pieds dans l’herbe, de spécialités à base de « bacalhau » (« morue »), des délicieux Pastéis de Nata, d’empanadas déclinés à l’envi…

La « Fado Star » Mariza

http://blogs.houstonpress.com/rocks/mariza.jpg


Sur l’immense Scène Pont-Neuf, à 20h00, une apparition surgit. Longiligne. Cheveux ras peroxydés. Tempérament de feu et star attitude. Une femme-sirène, drapée dans une robe aux infinis reflets et les atours de sa dramaturgie. Ce soir-là, les quelques milliers de spectateurs massés devant les planches n’effraient guère la diva Mariza. Fougueuse, elle livre son « fado », tour à tour tragique et furieusement joyeux, à cœur et corps ouvert. Ici, le « blues » se danse, se pare de rythmes jubilatoires, et de tous les attraits d’une passion exacerbée. Ce « fado » qu’elle a chevillé au corps depuis son enfance dans le quartier de la Mouraria, cet « art » aussi essentiel que l’air qu’elle respire (« Je me souviens aussi peu de mon premier fado, que de mon premier mot », assure-t-elle), elle l’offre à mains ouvertes à l’auditoire ravi, qui reprend en cœur son refrain, à la fin d’un show théâtral et spectaculaire : « Colha a rosa branca, ponha a rosa ao peito » (« Cueille une rose blanche et pose-là sur ton cœur »). Dans le public, deux fans portugais m’expliquent : « C’est très différent de ce qu’on entend chez nous, à Lisbonne, dans les Maisons du Fado. Mariza oriente son style vers l’étranger ». Japon, France, Brésil, Angleterre... la diva, récompensée et célébrée aux quatre coins du monde,  assume cette ouverture : «  Le fado ne  s’adresse pas aux seuls lusophones. Bien sûr, il symbolise l’âme du Portugal : il contient la mélancolie de la mer et tous les voyages des marins… il porte en son sein la saudade, la joie, la tristesse, l’amour, la passion… mais ne sont-ce pas là des sentiments universels ? » D’emblée, Mariza, aux origines mozambicaines, place son fado à ce carrefour où dialoguent toutes les cultures lusophones : celles du Brésil et d’Afrique (Angola, Cap-Vert…), ramenées dans les valises des colons, des navigateurs, imprégnés du chant des esclaves et des population locales, jusque dans les bouges lisboète du XIXe siècle. Le fado, chronique sociale de son époque, se nourrit, dès sa naissance, de tous ces métissages. Autant de croisements, qu’elle perpétue, notamment par des collaborations avec le compositeur et arrangeur brésilien Jacques Morelenbaum (Tom Jobim, Caetano Veloso, Cesaria Evora…). 

 

António Zambujo : le nouveau souffle

http://2.bp.blogspot.com/_T3Mi1NhhmCc/SWi4FNtHIGI/AAAAAAAAC4M/0oAzs-88vCg/s400/18.jpg


Plus loin sur le site de la Prairie des Filtres, un autre fadiste reconnaît tout l’apport de Mariza à ce style national. Né en 1975 à Beja dans la Province de l’Alentejo, António Zambujo forge ses premières armes musicales dans les chants polyphoniques traditionnels de sa région, s’initie à la clarinette, à la guitare portugaise, tâte du jazz, avant de se frotter au fado, art de poète, qu’il déclare « de la maturité. » Pourtant, à mille lieues de l’emphase parfois ampoulée de la « fado star » Mariza, le jeune homme offre, sur la Scène Village, un show tout en pudeur et en retenue : une sobriété, une délicatesse qui touche juste et comporte, en son sein, une infinie puissance d’interprétation et de vie. En véritable orfèvre, Antonio Zambujo cisèle ses phrases, joue sur toute la gamme des nuances, modèle les silences, fait preuve d’une indéniable virtuosité vocale, quand son chant quasi de « falsetto », oscille d’un souffle ténu à une rondeur généreuse, gorgée de couleurs. Avec ses musiciens (contrebasse, guitare portugaise, clarinette, cavaquinho), un dialogue s’installe sans faux-semblant, une alchimie qui résulte d’une communion parfaite, cordes et cœurs entremêlés. Qualifié de « renouveau du fado » par la presse, António Zambujo, fut surtout adoubé par la légende brésilienne Caetano Veloso, qui le compare volontiers à un autre géant, João Gilberto. Sous les cordes du Portugais, sourdent en effet des influences brésiliennes, son art invite des textes de Vinicius de Moraes, accueille les chaloupes d’une bossa nova, ou le velours swingué d’un Chet Baker, l’une de ses idoles. Si Zambujo ouvre tant de porte, c’est surtout qu’elles révèlent les horizons de son âme. Son troisième disque s’intitule Outro Sentido (« autre sens », « autre direction »), et voici ce qu’il propose : une autre vision. « Mon fado résulte de mon parcours, de Beja à Lisbonne, de la somme des disques écoutés (jazz, brésiliens…). Il constitue un parfait reflet de ma personnalité ». Avec sa manière de respirer en musique,  António Zambujo dispense, ce jour-là, à Rio Loco, une méditation sereine, lumineuse, tissée d’intelligence et de tendresse.


A la fin de la soirée, la saudade résonne encore en échos sous les doigts d’un autre António, António Chainho, le maestro de la guitare portugaise - l’instrument phare du fado, contrepoint essentiel au chant -, dont les notes égrenées rebondissent une à une sur la Garonne et sous les étoiles, pour nous souhaiter bonne nuit… Une belle nuit qui chanterait, à la suite de Mariza et António, un titre qu’ils ont, chacun leur tour, interprété : « Eu sou o fado » (« Je suis le fado »).

 

Anne-Laure Lemancel, Pour Evene

 

Nouvel album d’ António Zambujo : Quinto (World Village/Harmonia Mundi), à paraître à l’automne 2012

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents