Cuba : entre machette et maracas (Raul Paz)

Raul Paz.

Il fut surnommé « le plus Français des musiciens cubains ». Après un exil parisien de 14 ans, le chanteur Raúl Paz, né en 1969,  est revenu au pays en 2008, avec un œil neuf et chargé d’expérience. Ce grand modernisateur et ambassadeur de la musique cubaine, ce dynamiteur de clichés, ouvert à tous les métissages, nous livre, de son île, sa vision très personnelle, entre paysages, symboles et musique. Suivez le guide !

« Parmi mes lieux fétiches à Cuba, il y’a d’abord la Vallée de Viñales dans ma région d’origine, le Pinar del Río. Longtemps, j’ai considéré cet endroit comme le plus merveilleux au monde : grandes roches antiques qui émergent du sol, température fraîche, féérie sans cesse renouvelée, lorsqu’au matin, les nuages planent bas… A La Havane, j’aime le Malecón, cette promenade mythique de huit kilomètres en bord de mer, d’où partirent pour l’Eldorado américain, les premiers « balseros », cette fenêtre sur l’horizon, qui voit défiler amoureux, pêcheurs, baigneurs, musiciens, simples flâneurs… Depuis ce spot idéal, chaque Cubain, empreint de blues insulaire, façonne ses rêves d’évasion. Il y a enfin la ville de Camagüey, au centre de l’île, l’une des plus vieilles cités cubaines, qui, pour semer les pirates, changea d’emplacement un nombre incalculable de fois. Ses rues tortueuses, dédale imprenable, ses vieilles maisons sur lesquelles le temps semble n’avoir pas prise, ses parcs striés d’ombre, sa culture, définissent un charme incomparable.

Si trois objets devaient résumer Cuba, il y aurait la maracas, instrument ni « blanc », ni « noir », hérité des premiers indiens autochtones, dont le frémissement hante toutes les musiques de l’île. Je citerais aussi la machette, emblème de la guerre d’indépendance : dans les campagnes, elle accompagne chaque individu. Elle sert à se frayer un chemin, à couper la canne… Enfin il y a les mangues, délicieuses, déclinées en d’infinies variétés.

Lorsque je suis revenu en 2008 sur mon île, après quatorze ans d’exil, doté d’un œil neuf et chargé d’expérience, je fus frappé par l’immuabilité. Rien ne paraissait avoir changé : un pays figé. M’animaient à la fois le bonheur de retrouver mon île intacte, épargnée par les promoteurs, et la peine d’assister à ce statu quo, au sein d’un monde en perpétuel mouvement. Je perçois pourtant quelques soubresauts : aujourd’hui, les jeunes ne veulent plus à tout prix quitter l’île, mais souhaitent s’y investir.

Grandir dans une île, telle Cuba, revient à s’entourer d’un cocon protecteur, isolé des influences extérieures, et de l’agression d’un flux continu d’information : ici, les nouvelles, parfois déformées par des manipulations médiatiques, nous parviennent  avec retard. Puis vient le moment où l’on étouffe, où l’on prend le large. Mais toujours l’on garde au cœur ce petit espace perdu au milieu de l’Océan, jusqu’au temps du retour.

Cuba fut terre de musiques, reine incontestée, lieu d’attraction des artistes du monde entier. Aujourd’hui, elle se repose un peu sur l’image de son âge d’or, la décennie des années 1950, triomphante sous les rythmes chaloupés du mambo, du son, du cha cha cha. Pour retrouver son âme musicienne, il faut alors sortir de la carte postale, s’éloigner des balises touristiques, des groupes folkloriques, qui rejouent de sempiternelles rengaines… Et tendre l’oreille aux nouveaux sons.

Aux  dialogues, aussi, qui commencent à s’instaurer avec les autres îles de la Caraïbe, aux mélanges qui s’initient sur fond d’histoire et de culture partagées : l’une des multiples solutions pour conjuguer Cuba au présent. » 

Anne-Laure Lemancel

www.raulpaz.net

Pour Lonely Planet, Septembre 2013