Un disque événement : le lieu commun n’est pas assez fort pour célébrer l’album Tangos d’Hugo Diaz sorti en février 2006. Premier opus du génial harmoniciste à être édité en France, cet hommage à Carlos Gardel lève le voile sur des richesses et une beauté insoupçonnées. En toute liberté.
« Vous avez une cavité au poumon gauche et un voile au poumon droit.
-Alors, docteur, on ne peut pas tenter un pneumothorax ?
-Non, la seule chose à faire, c’est de jouer un tango argentin. »
Dogme énigmatique, extrait d’une poésie brésilienne affichée, quelques temps, dans les rames du métro parisien ; le mystère s’éclaire à l’écoute du disque Tangos d’Hugo Diaz. Par le souffle épique du génial harmoniciste, le tango acquiert des vertus thérapeutiques et consolatrices : un enchantement, sans cesse renouvelé, du corps et de l’esprit, qui remue les tripes et panse les blessures. De la première à la centième écoute, l’intensité du choc émotionnel ne saurait s’éroder ; ses accents de tendresse nostalgique comme ses accès de rage brute insufflent dans le cœur de l’auditeur de brillantes obsessions.
Célébré en Argentine depuis l’âge de cinq ans, Hugo Diaz né en 1927 fut, en Europe, l’ « un des secrets les mieux gardés du tango ». Rare et précieux, comme tout secret, cet hommage à Carlos Gardel, premier album de l’artiste édité en France dans son intégralité, fut gravé en 1975, deux ans avant sa mort.
Une sorte de « chant du cygne » qui relève bel et bien du registre des œuvres inouïes, épanouies en liberté. S’il s’inscrit dans un style musical très codifié, Hugo Diaz l’incarne, le sublime, le magnifie ; et le réinvente. A la place du magistral bandonéon, le petit harmonica, attribut du pauvre et instrument décrié, s’impose avec majesté et violence, héros et héraut des enjeux lyriques. A ses côtés, les autres instruments se parent d’une discrétion sensible, empreinte de respect. La contrebasse, respiration rauque et grondante, souligne le chant de ses traits mélodiques, lui apporte l’air dont il a besoin et manque parfois, douloureuse asphyxie. Quant à la guitare et au piano, fidèles amis, ils conversent avec l’harmonica, reprennent ses thèmes et les déclinent. Un dialogue parfait entre les quatre instruments s’établit, que vient parfois troubler et interroger le râle de l’artiste, si fortement présent.
Liberté de style donc, mais aussi liberté de son. Hugo Diaz joue de l’harmonica à la manière d’un bluesman : il en arrache les notes avec fougue, les attaque avec colère. De la note tendue, filet de souffle ténu, au grognement fauve, il en explore les possibilités infinies pour peindre la palette des sentiments, sans jamais se prendre au sérieux. Liberté de temps, étonnante : l’harmonica se joue de la mesure, et s’y inscrit pourtant. En arrière ou en avance, il la regagne toujours, dans une étonnante maîtrise. Une liberté toute en contraste, en énergie et en douceur aussi, une expressivité sauvage qui finit par se résoudre dans la cadence parfaite, lumineuse, qui ponctue chaque morceau. Comme dans la vie, les affres s’estompent et laissent place à l’optimisme.
Dans les sorties prolifiques d’albums, il y a des disques singuliers et essentiels, offerts en cadeaux, qui se comptent sur les doigts d’une main. Des œuvres qui accèdent à l’essence des choses et de la beauté, et aident à vivre. Tangos d’Hugo Diaz est de ceux-là. Touché par la grâce.
Anne-Laure Lemancel (Pour Mouvement, en juin 2006)
Hugo Diaz, Tangos, Iris Music
Hugo Diaz : harmonica
José Colangelo : piano
Oscar Murtagh : contrebasse
Diaz : guitare
EN OFF: le tango possède bel et bien des vertus curatives. En tout cas, ça marche sur moi...Et sur vous?